Grotte Chauvet
ARMAND SCHOLTES, L’ARCHÉOLOGIE UTOPIQUE
"je ne suis pas en train de peindre, c'est la main, c'est seulement la main de l'esprit qui est en train de peindre"
L'appartement d'Armand Scholtès, à Nice, était à la fois son lieu de vie, son atelier, sa galerie et son œuvre. Les mêmes motifs et les mêmes couleurs se retrouvaient sur les grandes toiles, les papiers, les objets, branches et bouts de bois, et les murs. Les colorations mêlaient des ocres, des rouges éteints, des noirs, des bleus et des verts, parfois. Les motifs, simples, répétitifs, me rappelaient par moments cette "archéologie du signe" à laquelle Maccheroni m'avait habitué, croix, X et cercles. Mais la comparaison s'arrêtait là : ce qui était série et programme chez l'un était prolifération chez l'autre, avec, parfois, une impression d'hésitation, d'inachevé, de tremblement, de superposition. Les motifs s’enrichissaient de spirales, lignes brisées, points disposés comme aléatoirement, lignes horizontales, traits verticaux. J’étais fasciné, sur telles toiles, par le développement et l’emplacement des traces les plus simples, en particulier les petits traits horizontaux, qui m’en rappelaient d’autres, issus du fond des âges ceux-là, et qui semblaient explorer comme une origine du geste à travers l’impact minimum du pinceau sur la toile, et qui, en même temps, ressemblait à un balbutiement de numération... J’en ai souvent compté le nombre, du reste, et j’ai toujours été surpris de la constance de certains nombres organisant les grandes horizontales et les petits traits verticaux dans les œuvres d’Armand Scholtès. En outre l'appartement, entièrement orné, m'aspirait dans une rêverie tout à fait différente de celle que je connaissais avec Henri Maccheroni ou de celle qui m’aspirait dans l’atelier de Dejonghe. J'étais accueilli chez un artiste pariétal...
Plus encore que par les grandes œuvres sur toile, j’étais touché par de petits bouts de papier, fragments souvent présentés isolément, parfois réunis dans des cahiers, comme des livres appelant des textes à venir... Papiers déchirés aux allures de feuilles mortes, sur lesquels un ou deux signes, parfois eux-mêmes incomplets se détachaient comme le reste d’une œuvre perdue... Ce recours au fragment, et ce travail de la fragmentation, que nous connaissons bien dans l’art contemporain, me renvoyait non seulement l’image d’une perception actuelle du monde - cette impossibilité où nous sommes de nous le représenter dans un ensemble cohérent - mais aussi à la façon dont nous recevons forcément les vestiges du passé. Me fascinait la présentation des fragments isolés, collés sur une feuille signée, feuille-support et fragment participant de l’œuvre au même titre, sous le même statut. Le fragment isolé, mis en page et présenté, était à lui seul un tout se suffisant à lui-même et pour lequel l’artiste ne suggérait aucunement qu’il fallût le relier à d’autres pour une illusoire reconstitution d’un ensemble. Me fascinaient tout autant les cahiers de fragment, les pages blanches qui leur faisaient face, l’appel au texte, comme si la seule réunion possible des fragments ne résidait pas dans l’adjonction d’autres fragments, mais dans le regard allant de l’un à l’autre, une page après l’autre, du texte qui pourrait les accompagner, de la parole qui aurait permis, peut-être, d’introduire de la continuité sinon de la cohérence, dans cette flamboyante et pauvre discontinuité.