Musée d'archéologie, à Nice
2007
« De moindres œuvres qu’on a pris la peine de mettre à l’abri dans des galeries ou des pavillons faits pour elles, doucement abandonnées au pied d’un platane, au bord d’une fontaine, acquièrent à la longue la majesté ou la langueur d’un arbre ou d’une plante, ce fauve velu est un tronc couvert de mousse ; cette nymphe ployée ressemble au chèvrefeuille qui la baise. »
Marguerite Yourcenar – Le temps, ce grand sculpteur.
C’est une véritable mise en abîme que ce dialogue de l’œuvre de l’artisan de l’antiquité avec l’œuvre de l’artiste contemporain. Dialogue de sourds ? … Ce langage, tout en silence et souvent en méconnaissance de l’œuvre de l’ancêtre d’une autre civilisation, nous est parvenu grâce à un objet très souvent usuel comme une lame de silex, une céramique, une épingle de cheveux en os… A la surface de ces objets archéologiques, des traces parlent et font parler les spécialistes : céramiques montées à la main ou à l’aide d’un tour, surface lissée avec des galets ou raclée avec patience à l’aide d’un « estèque » en bois ou métal sur la terre presque sèche.
Mais les objets enfouis dans la terre au long des siècles ou abandonnés au vent et à la pluie vont également évoluer vers des formes nouvelles et laisser, comme un habit trop petit, leur premier rôle fonctionnel. La céramique et même le marbre vont dialoguer avec la nature comme la nymphe de pierre avec le végétal. Le temps va re-transformer l’œuvre créée par l’homme.
Enfin, il y a le galet, que chacun a ramassé après le passage d’une vague, veiné et brillant, beau comme une œuvre d’art. Doux par son poli et sa forme, il restera longtemps sur un meuble ou un bureau. Le temps, encore sous la vague et le sable, a poli à la perfection, la pierre, le bois ou un ancien fragment de faïence perdu en mer.
Et pour l’archéologue, comment faire la différence sur la plage de Terra Amata entre un simple galet et un galet utilisé par l’homo erectus,daté de 400 000 ans avant notre ère ?
Les innombrables tiroirs du musée de Nice étonneraient Armand Scholtès. A l’intérieur sont réunis le travail du temps, celui de nos ancêtres et… celui de l’artiste ! La présence des conservateurs auprès d’eux ne leur enlève en rien le mystère qui naît de cette mise en abîme de la collection.
Comme l’a si bien écrit Marguerite Yourcenar, ce passage entre la création et « l’état de minéral informe » est porteur de beauté. Les réserves des musées contiennent aussi d’étranges œuvres d’art qui ne sont que des accumulations de petits objets retenus sur une surface en bois ou en carton par des fils de fer. Quelquefois il ne reste, sur le support du XIXème siècle, que la forme très précise de l’objet disparu…
L’œuvre contemporaine d’Armand Scholtès, entre accumulations et fragments, nous conduit vers un dialogue peu habituel dans un musée scientifique. Les objets de l’antique cité romaine de Cemenelum et les œuvres de l’artiste, ignorant toute confrontation, augurent un dialogue évident et pas si invraisemblable que cela ! L’artiste y trouve une vérité, ceci sans l’ombre d’un doute. Et le visiteur étonné et heureux se glisse entre ces différentes partitions proposées par un artiste et un conservateur.
Monique Janet, Conservateur du Musée d’Archéologie de Nice