Théâtre national de Nice
2015
« Dans un sens, c’est bien ma vie que je joue ici, une vie à goût de pierre chaude, pleine de soupirs de la mer et des cigales qui commencent à chanter maintenant. La brise est fraiche et le ciel bleu. J’aime cette vie avec abandon et veux en parler avec liberté : elle me donne l’orgueil de ma condition d’homme. On me l’a souvent dit : il n’y a pas de quoi être fier. Si, il y a de quoi : ce soleil, cette mer, mon cœur bondissant de jeunesse, mon corps au goût de sel et l’immense décor où la tendresse et la gloire se rencontrent dans le jaune et le bleu. C’est à conquérir cela qu’il me faut appliquer ma force et mes ressources. Tout ici me laisse intact, je n’abandonne rien de moi-même, je ne revêts aucun masque : il me suffit d’apprendre patiemment la difficile science de vivre qui vaut bien tout leur savoir-vivre. »
A Nice, au Pays des Merveilles.
Il faut laisser le soleil dehors, coulant sur le parvis
La bête multicolore de Niki de Saint Phalle hurlant à l’azur
Passer le hall, se noyer dans le noir de la salle
Pigliate ogni speranza, voi che’ntrate
Entrée des artistes
Alors, soudain, Elles sont là
10 toiles verticales
Grand format,
Suspendues sur la scène
10 œufs multicolores pondus par la poule immense du noir
10 poussins arlequins picorant les planches, le nez aux cintres
10 êtres de lumières et de couleurs, les bras tendus en adoration
Merveilleuses héritières du Baron de Münchhausen se tirant par les cheveux pour s’extraire D’un marais noir, du sol noir
Du Pays de la nuit
Femmes vivantes de la Barbe Bleue de la beauté, à la main la petite clé d’or fée du cabinet noir Où elles ne sont jamais entrées
Elles sont là, suspendues ou debout
Et elles chantent
Ainsi que le monolithe de 2001
Elles bourdonnent
Ainsi que les Mystics, les bêtes sages du monde de Dark Crystal
Car il y a du cristal, du prisme, dans ces mains de couleurs qui peignent la ténébre
Altamira d’espérance enthousiaste
Du Dark side of the moon,
De la rencontre du 3ème type dans la nuit
De l’intra terrestre bourdonnement
10 œufs géométriques,
Grands rectangles plus hauts que larges,
Arcaniques
Soleil, Lune, Etoile, Monde - et Pendu par le pied
Souples, légères, douces
Ce sont des choses-œufs que l’on peut rencontrer en rêve
Que l’on peut ramener, palpitantes, des rêves
Qui font sourire, ou pleurer sans réfléchir, au réveil
Lasers gentils, éclaboussant l’espace noir
Œufs hologrammiques dansant les bras au ciel dans la vénération de la verticalité
Instant sacral
Recueillement
Ici les humains s’arrêtent, lèvent le pied, marquent le pas
Prendre conscience de ce temps arrêté
De ce présent éternel
C’est ne plus rien attendre
Être dans le bonheur
Ici les humains regardent le monde face à face
Couleur, lumière, espoir, mort heureuse
Stupeur scintillante d’être né pour cet instant limpide
Couleurs des saisons disposées autour de l’axis mundi de la plus grande toile
Claire du plein jour
Baleines remontant vers la surface et la lumière en chantant
Etres de joie brute descendant du ciel sur la terre en clignant des yeux, étonnés
Voici le moment de la création,
Ça plane au dessus des eaux - noires
Ça ne parle pas
A peine si Ça chante
Et si Ça danse
Il y a du Ça sur cette scène primitive
Les œufs de lumière sont suspendus
Et
Miracle païen
Ce sont eux qui projettent la lumière
Ainsi que de petits dieux des lieux, des faunes ensorcelants
Puits de lumière dans le noir
Tenant à distance les choses innommables qui habitent le noir et nous attendent
Toutes de griffes et dents
Ce sont des Toiles-Mères qui écartent la peur du noir
Des sources qui dissipent la ténébre de la Grande Forêt de la Nuit
Des Poucet, Hansel et Gretel
Aux prises avec les ogres et les sorcières qui hantent nos enfances
Il faudrait présenter ces Mères-Toiles aux enfants
Présenter les enfants à ces êtres tremblants
A vertu thérapeutique, didactique, pédagogique, d'apaisement
Elles rassurent, protègent
Enseignent
Toiles institutrices
Que la nuit n'est jamais toute noire
Que c'est lorsque l'obscurité est la plus profonde et la peur la plus dévorante
Que l'on commence à percevoir la lumière
Au début, il y a cette sensation de présence
De force
Puissance
De sacralité
De l’Etre-là qui se suffit
Se donne à voir, s’offre
Inscrite sur fond noir
Pénombre
L’écriture humaine se donne noire sur fond blanc (sauf chez Mallarmé, Pichette, Ben, …)
L’écriture cosmique se fait blanc sur noir, étoiles et constellations
Dont les grands télescopes nous révèlent les couleurs
Tout comme ces peintures nous révèlent la multiplicité de l’Être qui advient
Dont l’unicité est la complexion même
La lumière met en scène, se met en scène
Se prend au jeu de l’œuvre au noir
Alchimique
Mise en œuvre de la lumière par les toiles
(ne dit-on pas : « mettre en lumière », « faire toute la lumière sur… »)
La lumière vient des toiles, les toiles éclairent, diffusent, projettent
Le spectateur, cependant, peut les voir
Traversées par la lumière (vitraux)
Projetées par la lumière (diapositives)
Révélées par la lumière (projecteurs),
Mais, non, elles diffusent
Sources de lumière et de couleurs
Peintures, toiles, debout, dressées
A la fois fières et douces
Hospitalières, accueillantes
Démonstratives, impératives
De l’ordre du don
Nous sommes à l’aube, au crépuscule du matin
J’imagine des chants d’oiseau, au lever du jour, des bruits d’eau, le vent dans les arbres
Ici, pour la première fois, peut-être
La lumière vient des toiles
Ici est le moment grec de la perception du beau
De la sensation du beau
Instant à la Camus : Nice est Tipaza, ce sacre du printemps est aussi le sacre de l'été
Et le bleu, le vert, le rouge, le blanc, le clair composent le traité des saisons de l’Être
Captées et restituées par L’Hommarmand
Ici on assiste à l’irruption de la nature (avant l'homme) dans le lieu de la culture (uniquement contemporaine de l'homme)
Il faudra y revenir
Danse/fond noir/espace noir/mouvement/dialogues des toiles entre elles
Nouvelle Conversation à Nice
Relations des toiles entre elles
Liaison (amoureuse ?)
Nouveau Confident à Nice
Émerveillement, magie
Le dire, le redire, le voir, le revoir :
La lumière vient des toiles
Volcans en gésine, océan primitif, roche originelle, luminosité du ciel, chaudron élémentaire De la grande nature
Du temps d’avant le temps
Surgissement des commencements
Gestation
Éboulis parmi lesquels babille l'enfant humain
À la main le brandon de feu trouvé dans la fissure fécondée par l’éclair de la foudre
Antécédence
Monde d'avant le monde,
L’Être exhibe en peinture ce que le langage échoue à dire
L’invisible qui meut le visible
L’indicible qui meut le dicible
Nature qui s'image
Ce Tarot tourbillonnant de lumières
- et si les toiles étaient un espace de divination, de lecture du destin
Des choses cachées depuis l’origine du monde, de prédiction - Ô magie ?!
Nous susurre comment ces fenêtres de couleurs et lumières qui nous regardent
Apprivoisent le noir
L’obscurité
Et, en les traversant
Éveillent nos yeux et, dedans, nous nos cœurs
À ce que nous avons perdu ou oublié
L'illumination
Comment s'approcher du monde sans bouclier
(celui qu’Athéna offre à Persée pour tromper Gorgone)
Sans intermédiaire
(dieu, théorie, langage, traduction)
Sans mythes
Comment être un Vivant sur terre qui voit ou a vu ces choses
Et qui ne tranche pas les têtes
Même des Gorgones les plus pétrifiantes
Ivre de lumière, la tête et le coeur pleins de joie, de rire
Ceux de la connaissance (co- naissance), de la coïncidence, coexistence
Sans même la pensée que, bien sûr, cela ne durera pas
Qu’il faudra rompre le charme de cette mise en évidence de l’éblouissement
Et repartir dans la ville et la vie
Qu’il faudra rendre toutes ses couleurs et lumières par les yeux
Alors que notre vision même s’en est trouvée changée
Grande proximité de cette monstration de couleurs dans la lumière avec les écrits de Camus Sur l’été
« Descente sur Mycènes et Argos,
forteresse mycénienne couverte de coquelicots par épais bouquets
qui tremblent sous le vent au-dessus des tombes royales »
« La nuit ne tombe pas sur la mer.
Du fond des eaux,
qu’un soleil déjà noyé noircit peu à peu de ses cendres épaisses,
elle monte au contraire vers le ciel encore pâle.
Un court instant,
Vénus reste solitaire au-dessus des flots noirs.
Le temps de fermer les yeux, de les ouvrir,
les étoiles pullulent dans la nuit liquide »
Nous autres, barbares de la civilisation, avons exilé la beauté
Souillé la mer et le ciel
Désorbité l’univers et l’esprit
Armand nous les restitue
Allumant les soleils dans la nuit les lunes dans le jour
Et ce n'est pas par hasard que cela se passe à Nice
-Tous les chemins mènent à Prom’
La bouche le trait d’union le sourire le baiser
Le sentiment de la nature opposée au sentiment de l'histoire
Grandeur nature, mineure culture
Sacralité
Totem central
Impression de relief, de 3D comme on dit aujourd'hui, et qui fait penser à ces œuvres Composées ainsi que des anamorphoses, extrêmement coloriés, qu’il faut fixer jusqu'à faire Apparaître une image en relief et volume devant ses propres yeux ébahis et heureux
Il y a du bonheur, quelque chose de l'ordre du ravissement,
Les couleurs-lumière nous emportent loin du monde méchant
Exportable en tout lieu noir semblable
À filmer
À animer doucement d’une musique de nature
D’ambiance
Seule comparaison : Sankai Juku
Dansant le rapport entre la nudité
Le noir et la lumière se focalisant sur un danseur
Un objet
Un détail
Une toile
Les toiles dansent
Ce sont des soldats guetteurs qui dansent
Je ne suis pas sûr qu’elles soient uniquement inoffensives
Pacifiques
Elles ont quelque chose à montrer, dévoiler, peut-être à imposer
Qui a été oublié, perdu
Massacré
Et qui demande à être rappelé
Il y a là une exigence
Beauté évidente
Violente et douce à la fois
Stupéfaction
Bouche bée, yeux bés
Si l’on s’approche trop près d’elles, elles rapetissent, se rétractent
Rentrent leurs cornes multicolores
Ce serait une erreur que de prétendre se glisser, déambuler au milieu d'elles
Cela les effraieraient
Peut-être même changeraient-elles de couleur
Caméléons réactifs et actifs
La montée aux balcons, elle, la vision de haut, apporte autre chose
Une vision de guetteurs, de soldats alignés - mais pacifiques
Les cartes de la Reine de Carreau dans Alice, à Nice
Nécessité de mise à distance puis de mise en mouvement
Je pense qu'il serait exemplaire (même si superflu ou contrariant pour l'artiste) de filmer ces toiles et de faire naître autre chose (structures, ordre, désordre, dessins, mouvements, images de la nature) d'elles-mêmes et qui envahirait le monde,
Le constituerait en monde
Comme Yves Klein, pour qui l'artiste n'est jamais à proprement parlé l'auteur d'une œuvre puisque la beauté existe déjà à l'état plus ou moins visible et invisible
La tâche de l'artiste étant de saisir cette beauté partout où elle est
Et de la restituer au monde
En tant que trace de la communication de l'artiste avec la beauté
Rendre visible la réalité invisible
Sauf que Klein fait du bleu la forme même du beau et le support de l'esprit et de la force de sa création
L’Hommarmand, lui, prend tout ce qui lui touche l’épaule
L’œil la main
L’interpelle
Mise en scène du secret d'une nature humaine où l'intelligence est sœur de la belle lumière De les renvoyer à la fameuse nuit des temps
Cette fameuse pensée dont le monde d'aujourd'hui se passe depuis si trop longtemps
La pensée lente
- l'autre sert à faire tourner la machine, à prendre la vitesse pour le réel
À s'imaginer qu'elle pourra le faire à l’infini
Philosophie à coups de marteau
De canons, avant-hier
D’atomes, hier
De finances, aujourd’hui
La pensée lente est la seule pensée
Celle qui offrira un jour un abri aux réfugiés de la pensée rapide
Quand la machine se mettra à trembler de plus en plus fort
Et que rien n'arrivera plus à contrôler ce tremblement
Armand tient de l’Être que la pensée lente est la plus vieille construction antisismique
Ô Heidegger, réclamant que soit
« provoqué l'éveil d'une disponibilité de l'homme
pour un possible dont le contenu demeure obscur et l'avènement incertain.
Il est pensé ici à la possibilité que la civilisation mondiale
telle qu'elle ne fait maintenant que commencer
surmonte un jour la configuration dont elle porte la marque technique, scientifique et industrielle,
comme l'unique séjour de l'homme dans le monde.
Qu'elle le surmonte non pas bien sûr à partir d'elle-même et par ses propres forces,
mais à partir de la disponibilité des hommes
pour une destination pour laquelle en tout temps un appel,
qu'il soit ou non entendu,
ne cesse de venir jusqu'à nous, hommes, au cœur d'un partage non encore arrêté »
La pensée lente est de l'esprit dissout jusqu’à la couleur et la lumière,
De la sensation, du ressenti, du sentiment
De la poésie,
Que distille le silence et le dialogue des œuvres-là appendues
Il y a quelque chose du don dans cet espace créé par l'obscurité sur laquelle et dans laquelle apparaissent, brillent, scintillent,
les 10 toiles
10 commandements doux
Surgissement impérieux, pourtant, dans leur apprivoisement
Lent rituel, respect, perte dans les cintres
Donnant envie de croiser les regards, les mélanger
D’échanger des mots, des silences, des poignées de mains
De prendre attache
La dissolution du lieu dans le noir fait advenir le lien entre les toiles
Entre les toiles et le spectateur
Elle suspend le temps
Les humains mêmes semblant se fondre dans le noir
Le rapprochement entre les spectateurs prend la forme de la dernière page de « L’Espèce humaine » :
Les toiles s’échangent entre les hommes comme l’ultime cigarette de la rencontre
Elles disent que nous sommes libres (Wir sind frei)
Que rien n’existe plus que l’homme que je ne vois pas
Que le visage de l’autre homme me regarde, dans le noir, même quand il ne me regarde pas
Les toiles nous font humains, lumineux jusque dans le noir
Échange de poignées de main
De regard
De silence
Rapprochement
Les bras ouverts
Les yeux ouverts
Mélange des yeux
Bains de couleurs et lumières
Création
Il s'agit bien d'une création
En ce 26 septembre
Si près de l'automne
Sacre de l'automne pour sacre du printemps
Lumière dans le noir
Comme on marcherait dans la nuit avec un petit feu au creux des mains
Une lampe pour éloigner les diables, les dieux, les djinns
Toutes les créatures que fomente l'obscurité
Pour repousser l'obscurité
La nuit de l’Être
Nuit américaine, européenne, asiatique, africaine
Qui s'étend sur le monde et les hommes
Monstration
Mostra de Nice
Qui se révélerait dans la nuit
Un bois
Une clairière
« La clairière au bout du chemin »
Une montagne
Stonehenge, Filitosa, Montségur
De lumière
Monstration qui à la fois délivre la lumière, les couleurs
Et l'obscurité
Qui expose et impose leur relation
Leur liaison (amoureuse ?)
En un doux songe d'une nuit d'automne
Sans rapport avec le surplus shakespearien
Mais tout en relation avec le souci Heideggérien
Pour qui le propre de l’homme ne consiste pas dans ce qu’il est
Mais dans le souci qu’il doit avoir de ce qu’il est
Homme questionnant l’homme questionnant
Monde grec de l’Être
Découverte de la Grèce par Heidegger à Délos
Par Camus, à Mycènes
Par Audisio, finissant par s’identifier à Ulysse
Illumination, enluminure
Exaltation de l’être et du monde
Je crois, très sérieusement, qu’en ce moment et cet espace de monstration
Ce 26 septembre 2015
Nous sommes dans un espace-temps dépassant la distinction forme-contenu
Précédant le mythe
Qui n'a pas besoin d'explications, de traduction
Non pas une expression du monde
(et surtout pas par l’homme)
Mais une impression du monde
(éventuellement sur l'homme).
Cette exhibition lumineuse et multicolore de l’Etre
Et lumière et couleurs et noir et obscurité
Est un moment unique - mais reproductible
qui,
Non seulement, unit essentiellement le temps et l’espace dans le dépassement et la fusion du lieu de l’espace théâtral (scène, salle, spectateur) et du concept de spectacle (exposition, mise en scène, installation),
Mais propose l’exhibition de l’Etre, du monde-d’avant-le langage-et-la-séparation-d’avec-le-monde,
D’avant la philosophie même
-
la raison, la négation du beau et de la contemplation, de l’amour de la beauté
-
la Caverne avant Platon
De la beauté du monde se passant de l’homme
Instant privilégié que nous avons parfois le bonheur de vivre
- bonheur de la fusion avec le monde, dans le monde
Ainsi que Camus à Tipaza ou au Jardin Boboli à Florence
L’arcane XII des toiles multicolores et lumineuses de l’Etre devraient nous inciter à interroger ce que l'on n’interroge pas :
Les impressions et sensations qui affleurent à notre conscience uniquement en termes de sensations, sensibilité, impressions non traduisibles dans le langage du questionner
Sinon dans celui, non langagier, de l’interpellation de l’homme par le monde, dans le silence et la stupeur
A interroger le flou, l'impressionniste, le non-communicable, le à-peine-ressenti
A devenir un préposé aux choses vagues
Muet, pantois, pantelant, émerveillé, souffrant et heureux et en deuil du monde hors de nous
Cette sensation blanche que nous connaissons tous et ne partageons qu'exceptionnellement, derrière les mots
Dans l'expérience de l'incommunicabilité
Dans les situations-limites
Mais aussi dans notre simple présence d’homme devant le monde
Coucher de soleil, mer, deuil, amour, souffrance, émerveillement devant une bête ou devant une œuvre
Peut-être cette stupeur/émerveillement/étonnement qui est dû à notre séparation d'avec le monde est-elle le fond du ressenti par rapport au monde et aux autres, à la nature et à la culture (l'humain), qui excède le langage et qui explique pourquoi existe l’art, mais peut-être aussi toute activité sociale et humaine en tant que tentative de remplir notre déchirure-séparation d’avec le monde.
Ici
Le monde est là
devant nous
en ces toiles
et tous sens réceptifs
bouche ouverte, yeux écarquillés
nous souhaitons l'accueillir
le prions, l'espérons, le forçons
mais
selon et selon
il vient ou ne vient pas
A Tipaza,
la respiration du ciel et de la mer
est apparue à Camus comme la seule image du sacré
la tendre indifférence du monde
la stupéfiante objectivité du monde
Devant le spectacle du soleil et des nuages courant au dessus du jardin Boboli, Camus se sent littéralement projeté hors de lui et en tire la leçon que le monde est beau et que hors du monde il n’y a point de salut, que l’homme n’est rien et que la vérité du monde c’est la nature sans humains.
A Nice
les Toiles-Mères d’Armand nous apprennent
à contempler la beauté de l’être en sachant que
tout en en participant
nous en sommes
dans le même moment
exclus
Devant nos esprits et nos sens, sur la scène du TNN, L’Hommarmand installent des toiles qui font monter au ciel le désert et la mer, descendre du ciel la terre et les forêts, le sable rouge, les palmiers verts, et c'est de sacré dont il s'agit, le sacré, ami de l'imaginaire, exprimant ce qui est entre le monde et nous, l'espace et le temps qui vibre et coule partout et toujours entre le monde et nous, cette « arche ténue qui nous relie à l’inaccessible » (Lévi Strauss)
« Tant que nous serons là et qu'il existera un monde,
Cette arche ténue qui nous relie à l'inaccessible demeurera dont
La contemplation procure à l'homme l'unique faveur qu'il sache mériter :
Suspendre la marche ;
Cette faveur que toute société convoite,
Chance, vitale pour la vie, de se déprendre
Et qui consiste,
Pendant les brefs intervalles où notre espèce supporte d’interrompre son labeur de ruche,
A saisir l'essence de ce qu'elle fut et continue d'être,
En deçà de la pensée et au-delà de la société :
Dans la contemplation d’un minéral plus beau que toutes nos œuvres ;
Dans le parfum, plus savant que nos livres, respiré au creux d'un lis,
Ou dans le clin d'œil alourdi de patience, de sérénité et de pardon réciproque,
Qu’une entente involontaire permet parfois d'échanger avec un chat »
Je crois, et je dis, qu’Armand a saisi
Avec les technimagiciens de l’éclairage du TNN, qui prouvent que l’art est la preuve que la vie ne suffit pas
Cet instant sublime d’avant l’homme
Où la beauté se donne à voir
À elle-même
Au monde
Le monde a commencé sans l’homme et s’achèvera sans lui
le sens des créations humaines n’existent que par rapport
à lui et se confondront au désordre et à l’entropie
dès qu’il aura disparu
ce pourquoi Lévi Strauss, encore lui
propose d’écrire « anthropologie »
« entropologie »
Invitant l’humain à la contemplation
La saisie silencieuse (mais partageuse)
Dans l’illumination et l’instant même de cette saisie
Contemplation, co-naissance, con-nivence
Émerveillement
Apprentissage essentiel
Existessentiel
Accueillant l’homme
Tout en sachant que celui-ci va le détruire
Que le Berger de l’Être va se faire mouton de Panurge
Et Saigneur des agneaux
Loup pour l’Etre et pour l’homme
Tueur-tueur
Les toiles montrent le beau nu d’avant et sans l’homme
D’avant la réalité dite
Chantée
Parlée
Écrite
Mythique
De l'ordre antérieur de l’Être
De ce qui est avant la traduction humaine
Avant le texte premier
Avant les ou le dieu
Un commencement qui dure
Et, notez le bien : ce n'est pas Dieu qui dit, c'est l'homme
L’Être qui (se) donne à voir, s’expose, s’explose, s’impose
A le redire :
Nous sommes ici avant le commencement
Mythe, littérature, langage
Nous sommes dans la poiesis de l’Être même
De ce qui se fait advenir à l’Être
Ô Lumière, Ô saisons invincibles de l’Être
tel est le cri des toiles
Cela demande un saut par-dessus l'Europe et sa substitution à la contemplation grecque du monde d’un dieu unique, ratiocineur, vindicatif, exclusif
La tragédie de l'âme dans le désert
Puis,
Dieu mort
L’histoire
Le nihilisme au centre de tout
Au détriment de la nature et de la beauté
Les deux guerres mondiales, les camps de concentration, la shoah, la bombe, le communisme, Le goulag, le libéralisme et l'économisme
Cette mise en scène est une ode à l’instant grec de l’Être
Le retour à la Méditerranée de la Terremersoleil, à leurs noces
Le triomphe de la bouche de lumière et d’ombre
la Souloumbrina
Ce nom mystérieux qui porte en lui le soleil et l'ombre,
La lumière et l’obscurité,
Mêlant chaque existence de positif et de négatif
Oeufs rectangulaires, géométriques, parallélépipédiques
Envoluminés de couleurs
Ce qu'il faut dire ici
C’est cette entrée possible de l'homme
Dans les fêtes de la Terre et de la beauté
Bien pauvres sont ceux qui ont besoin de mythes,
Dit Camus,
Alors que ce qui est important c'est de voir les choses,
Les belles choses,
Sans artifice,
Ni arrière-monde explicatif.
« Voici qui est rouge, qui est bleu, qui est vert.
Ceci est la montagne, la mer, les fleurs.
Et qu'ai-je besoin de parler de Dionysos
pour dire que j'aime écraser les boules de lentisques sous mon nez »
Il dit qu'il suffit de contempler,
qu'on ne s'approche jamais assez du monde
même à entrer nu dans l'eau
ou
dans la nuit de ce théâtre où le monde palpite de lumière et couleurs,
et même si c'est le seul plaisir qui nous soit alloué.
« De la lumière ! » le dernier mot de Goethe
Est le premier mot d’Armand
En ce théâtre de la création du monde
Alors, au milieu du théâtre
Plongé dans l’obscurité
Sous le regard des Toiles-Mères
Je jure que je les ai vus
La bête multicolore de Niki de Saint Phalle, entrée sur la pointe des pattes
Les feuilles mortes du Boulevard Dubouchage, portées à pleines mains par le vent
La vague venue depuis Troie rouler sa hanche jusqu’à nous
Les sommets encapuchonnés de neige du Haut Pays
Et
Oui
Le cheval de Paul Troubetskoï
Venu tout exprès de Valrose témoigner
Jeter de la lumière et de la couleur par les yeux, les naseaux
Le cheval regarde et parle :
« Les animaux ne dorment pas,
Nuit profonde,
A la voute noire montent les rondes d'étoiles,
Le cheval est debout comme un chevalier qui veille,
Regarde d'un œil résigné un monde secret, immobile »
Heureux celui qui sort de ce moment et de cet espace arrêtés
Suspendus
Uniques
De cet espace et de ce temps tapis comme du noir ramassé sur lui-même
Avec des yeux neufs, lavés, multicolores
En jetant des couleurs par les yeux
Et qui voit le monde et les humains tout éclaboussés
Fin du spectacle : Sortie du musée et du théâtre
Autre chose :
L’invitation de l’espace théâtral, cette opportunité de présentation sur la scène du TNN
Constitue pour les toiles une sortie du musée
Une respiration
Un dialogue entre elles
La libération hors d'un espace contraint pour une profondeur qui ouvre la vision
Le regard
Métamorphose la distance
L’espace
Les toiles
Mais les toiles suspendues sur la scène
Arcanes XII entre ciel et terre
Lumière et obscurité
Proposent
Je crois
Outre une sortie du musée (espace de réponse quand ce qui compte sont les questions)
Une ouverture critique et un dépassement de l'espace muséal mais aussi théâtral
Il n'est que de se promener dans le théâtre
De bas en haut
De haut en bas
D’un côté l'autre
Pour constater l’ouverture de l’espace théâtral
Par le surgissement de l’Être, nu mais cependant enveloppé, habillé dans le tissu des toiles
Le cri des bouches multicolores des toiles ouvrent les fenêtres qui n’existent pas
Mais qui sont là, fermées
Ouvrent les fenêtres de cette maison de poupée malade qu'est le théâtre
Ce coffre
Cercueil petit-bourgeois
Non pas sur la vie
Comme le dit le langage convenu
Mais par la vie
Par l'irruption douce,
Sans violence
De la vie
La nature
L’Être
Encore :
Étonnante ouverture du théâtre à l'œuvre plutôt qu'à l'artiste
À l'œuvre plutôt qu'aux hommes agités de la tour de babil
À l’œuvre plutôt qu’aux misérables petites tragédies de bureau et le sang
« comediante, tragediante ! »
Au silence immense et à la lumière plutôt qu’à la gesticulation, au bavardage et au méta-bavardage
Mise en scène se libérant de toute mise en scène
Mettant toute mise en scène à l'écart
Au rancart
Au ringard
Quelque chose montre/se montre
Dit/se dit
Qui n'emprunte pas le canal/médium du dire barbare et didactique
(celui que j'emprunte moi-même ici)
Qui n'a pas besoin de l'homme pour dire, montrer
Trace sur le sable qui a oublié l’homme
Ici, la mise en scène du noir, de la couleur, de la lumière
Propose ni plus ni moins qu’un dépassement de la mise en scène
Traduit l’inintérêt de la mise en scène
Gadget de « la vie et la ville dans le théâtre »
Du « théâtre dans la vie et la ville »
Des « personnages en quête d'auteur »
D'« auteur en quête de personnages »
… En attendant Bobo
Ici on n’attend plus rien : c'est là !
Et c'est en même temps l’attente même
Paisible
Inquiète aussi
Essentielle
Mais qui ne sue pas la petite humanité échouant à se dire elle-même
Et à dire le monde, la vie, l’Être
Ici est le lieu et le moment de l’Être
Silencieux
Non menaçant
Surgissant délicatement de l'oubli et de la perte, de l'effacement de l’Être
Pour le restituer dans ses couleurs et lumière
L'espace du théâtre, c'est l'Occidentalisme ou, à peine, sa critique
Monstre culturel protéiforme,
L'Occidentalisme est devenu pré-pondérant
Obèse
Occidenteur
Il donne forme au goût - rapide, zapping
Fait briller le regard - factice, saturé
Orchestre le temps - compté-décompté
Divertit l'écoute - saturée, larsenisée
Épure la parole - transparente, automatisée, robotisée
Dynamise le corps - lisse, botoxé
Abolit l'espace - passager, emprunté
Enfantillage intellectualisant
Àcotédelavisme de la théâtralité renvoyée à ses planches, ses cintres, ses coulisses,
son spectacle.
Ici on n'est plus dans le monde du spectacle
Étonnante dé-monstration qui n'a pas besoin du langage
(mon présent commentaire est en ce sens bien en dessous et bien à côté de ce qui nous est montré)
De la course-poursuite entre la jouissance et l’indifférence
Face à l’esthétique de la dispersion de la postmodernité
De la prolifération du signe
Des signes dépourvus de sens
De la critique de tout horizon de sens par l'ironie, la dérision ou de purs jeux de formes
L’Être au monde exhibé dans ce théâtre scénarisant la sortie du théâtre
Est dans une indissociable alliance
Une juste corrélation du monde physique et du monde spirituel
Une harmonie des tensions opposées
Comme celle de l'arc et de la lyre
Cioran rêvait d'inoculer le virus de la sieste aux éternels éveillés en armes
L’Hommarmand invente l'inoculation de l’Être par douceur
Révélation, illumination intérieure
L’on pourrait parler
Pour de rire
De coaching existential
Du management de nos vies par révélation/illumination
De thérapie par la couleur
Restent autant de questions à L’Hommarmand
Qu’est-ce que cela change pour lui cette mise en lumière
Véritable métamorphose
Transmutation pour le spectateur, même averti, des œuvres d’Armand, déjà fréquentées en musée ?
Les toiles contenaient-elles déjà la lumière, enfermée, silencieuse, invisible
Ou seulement visible par l’auteur
Et l’éclairage libère-t-il seulement les lumières contenues ?
Que voit l’artiste dans cette révélation de sa propre œuvre dans la lumière
Sous cette transfiguration, cette nouvelle forme ?
Ou bien l’éclairage suscite-t-il une autre œuvre ?
Il n’est pas possible, heidegeriennement parlant, que la technologie exhausse à un tel point l’existant des toiles, crée une dimension supplémentaire, cette révélation dont accouche la lumière projetée, et, je serai peintre, je serais ébloui par cette (re) découverte de mes propres œuvres
Comment penser cette révélation?
La luminosité, la lumière expansive dormait-elle, se dissimulait-elle dans la toile
Attendant, guettant, ainsi qu’un félin en ses prunelles d’or ?
Armand dit :
-« Chaque toile est la nature, et je les voyais déjà ainsi, chacune, avant et sans cet éclairage ».
Peut-être, alors, sont-ce les toiles qui nous voient, nous regardent, nous éclairent ?
Armand parle de la nature qui s’exprime, à peine s’il s’en déclare un modeste intermédiaire, un capteur, un médium - comme le disait Klein, mais Klein avait besoin de dire/expliquer/exprimer/nommer ces œuvres (de la nature) passées par lui, traversant son corps et son esprit
« Monochromes, Pluie, Vent, Feu, Météores »
Armand, lui, restitue, délivre l’Être sans mot dire
Sans nommer le souffle
Sans titre ni date
Se retirant sur la pointe des pieds
Ou à genoux
Son visage demeurant dans l’obscurité
Il brandit au bout de ses bras tendus les œuvres émergeant du noir
Les œuvres se désengluant du noir
Déclarant leurs couleurs, amour, vers la lumière
À peine s’il dit :
- « Voyez, regardez, je n’y suis pour rien, la nature se montre du bout de mes doigts, phares, pinceaux »
Cela c’est la phase d’humilité du médium (médiumhuhilité) qu’est L’Hommarmand
Armand s’efface comme artiste
D’abord derrière ses œuvres
Qui existent « indépendamment » de lui et hors de lui
(même si c’est son bonheur de faire advenir l’Etre à l’état d’œuvre d’art appréhendable par les humains
Mais surtout derrière l’Être dont il prolonge et vénère (performe ?) la beauté, et dont il se fait L’humble médium
Le porte parole
Le porte pinceau
L’Ange porte plume
Encore : que voit Armand de sa propre œuvre, élevée par la magie de la mise en lumière à une (œuvre)2 ?
Voit-il l’Autre en lui qui a créé ces œuvres qu’il révèle illuminées devant lui
Par la vertu de la mise en scène
Le satan-démiurge-ange caché en lui
Sous la peinture
Qui a dissimulé la lumière dans la toile (Prométhée ?)
Par affinité/complicité avec l’éclairage
Qui, jamais, dans des expositions, en musée, ne délivre une telle vérité (lumineuse !)
De ces toiles
Une telle douce puissance
Découvre-t-il qu'il est Autre que ce qu'il est
Que L’Hommarmand n'est pas seul dans son œuvre
Qu’il y a un étranger en lui
Qu’il est un Autre en lui
Ange, Daimon, Horlà
Quelqu'un qui peint dans le peintre
Et quel rapport avec le père-feu et la mère-tissu ?
Qu’est-ce que l’inconscient, en effet, sinon l’altérité en nous, cette heimlich/umheimlich
l’inquiétante étrangeté
A cette aune
la peinture d’Armand pourrait s’éprouver
comme un voyage dans l’étrangeté de l’autre soi-même
comment pourrait-on tolérer un étranger
si l’on ne se sait pas étranger à soi même ?
Cette présence en lui d’un autre est une invitation à ne pas réifier l’étranger
à ne pas le fixer comme tel
et à ne pas nous fixer comme tel
A reconnaître notre inquiétante étrangeté
nous n’en souffrirons ni n’en jouirons du dehors
L’étrange est en moi, donc nous sommes tous des étrangers
si je suis étranger
il n’y a pas d’étranger
La lumière
Révélant à l’artiste l’étranger en lui
Fait de la danse des toiles
Une communauté politique
Où nous pouvons
Tous et chacun
Prendre notre place
Et puis,
Les toiles,
Datant des années 80
Nous font réaliser combien cette œuvre d'une vie
(et vitale pour Armand)
Ne se soucie pas du temps
(en ce sens également, Armand n'est pas un artiste contemporain,
Pas plus qu’on ne saurait le dire postmoderne ou quoi que ce soit d'autre)
L’Hommarmand se situe hors du temps
Il ne positionne pas le temps comme une référence
- détestée, aimée, objective
Étrange œuvre qui n'est pas biographique
Dépendante des événements de sa vie
(rencontres, partages, morts, deuils, amours)
N’enregistre pas le passage du temps
Mais des instants de l’Être qui
Lui
N’a pas de temps
Seul l'homme passe
- et ce n'est pas parce qu'Armand peint des feuilles mortes qu'il est question du passage du temps
Au mieux il s'agit de cycle
D’invariants juxtaposés, concomitants
Feuilles vivantes, printanières, automnales, mourantes
Des idées
Juxtaposées
Confraternelles
Cohabitantes
De l’Être dans le temps
Alors, les œuvres d'Armand ne passent pas
Ni ne fanent
Elles sont là
Dressées
Intactes
Indépendante des écoles, académies, tendances
Ces ridicules petites rébellions ou révélations
Elles n'appartiennent pas à une époque
Oh ! Le dérisoire des installations à La Station des jeunes artistes issus de la villa Arson
Oh ! Le si éphémère et orgueilleux témoignage de l'esprit d'une époque sans esprit
Voilà qui, du coup
Comme accessoirement
Invalide quelque peu la lecture historienne et historique de l'œuvre d'Armand,
Voilà pourquoi elle trouve écho chez les philosophes (Maurice Élie)
Les poètes (Raphaël Monticelli)
Plutôt que chez les historiens de l'art
L’Hommarmand traverse le temps
Et
Certes
Il l’aime à la fois et en souffre et en pâtit
Mais l'œuvre dure car elle est fille du temps
Indépendante du temps
Clignement d'œil de l’Être retrouvé par la main l'œil le pinceau d'Armand
Dans ses promenades sur la surface de l’Être
Ainsi que sur le corps échoué d'un dieu immense qui continuerait à vivre même dans l’oubli des hommes
Dans l'aveuglement ou la transparence de ce corps à notre vision
Ainsi que le peintre se levant en pleine nuit, allumant la lumière douce et volant regarder sa dernière création pour voir que,
Oui, c'est bien cela,
Il a peint ce moment du monde qui passait, l'espace du monde qui était là, devant lui, à lui faire de l'œil, il a été
Oh ! un instant, un si bref instant !
Un éclair et c’est comme si cet éclair avait illuminé le monde
Rien que pour lui et s’offrant à lui
Pour qu'il aille l'offrir aux hommes
L’hôte du monde
Son invité
et
Tout sourire
Moins les dents
S’est vu offert le don de le contempler
Le saisir délicatement
Bout de crayon, de pinceau
Pour le restituer
Il a eu cette chance unique que l’Être lui passe un bras autour des épaules
Et de la main lui désignant l'étendue et le mystère
Dans l’éclair de l'instant qui dévoilait le deçà des choses
Lui a susurré à l'oreille
« Vois ! »
Et, malgré la fatigue des ans
Malgré la nécessité médicale du repos
Il ne pourra pas dormir en cette fin de nuit
Un sourire lui élargit le visage jusqu'à l’aube et il restera là
Illuminé
Patient
Curieusement attentif à la sensation décroissante de ce bras se retirant qui entourait son épaule
Et de cette voix d'outre-temps lui susurrant encore et encore à l'oreille
le secret
« Haute vision », écrivais-je, l'été dernier
mais c’est profonde qu’il faudrait la dire
Lointaine
Et vieille, vieille
Ancienne, ancienne
Du temps où la lumière entrait à flots par les fenêtres des hommes en leur maison de berger de l’Être, où il vaquait sur le monde sans séparation d'avec lui ainsi qu’il en est pour les bêtes.
Et tel est l’oxymore existentielle de L’Hommarmand
Être un simple médium de l’Être
Se revendiquer tel,
En toute humilité d’ange démiurge
Et être également un militant de l’humain et de l’humanisme
Qui pleure sur les Migrants, les Ouvriers, les Éreintés
Les Assassinés
Et sur la solitude
« Que c’est merveille ! » :
ce sont les mots de Christophe Colomb
pour exprimer la découverte du Nouveau Monde, ce paradis
-
belles verdures, végétation, poissons, oiseaux, fleurs –
le vendredi 12 octobre 1492
Mais les merveilles ne durent pas :
dans les minutes qui suivent l’éblouissement de l’Amiral des Mers Océanes,
il tentera la communication en parlant les langues du paradis
- l'arabe, l'hébreu, l'araméen-
avant de se résoudre au langage des signes,
à l'incommunicabilité,
dont Las Casas conclura qu’« ils nageaient tous dans le noir ».
Et, dès le 13 octobre, l’Eldorado succède à l'Eden,
les bijoux sont fondus pour en faire des lingots,
Colomb enlève 7 hommes pour les offrir aux Altesses Très chrétiennes d'Espagne,
vite, très vite,
une traînée de cadavres et de sang
servira de route de l'ancienne Europe au Nouveau Monde.
Les toiles nous sont merveilles tant qu’un nouveau Monde
Mais il nous appartient de ne pas les transformer
En lingots
En esclaves
En langage
Les toiles illuminent d’Être
Toutes couleurs coulant sur nous comme des espoirs
Pour nous arracher à la nuit noire de l’Angoisse
La fameuse Nuit des temps
d’avant la sortie des cavernes si peu platoniciennes ;
d’après les cavernes électroniques de l’horreur économique.
Ni l’art, ni la philosophie, ni rien ne peuvent nous servir de refuge
Alors L’Hommarmand
Sensations
Perceptions
Couleurs
Lumières
Nous invite à une connaissance pacifique
Inoffensive
Douce
Une nouvelle alliance avec l’Être
Une manière d’habiter le monde
Charlie Galibert, 8 octobre 2015-10-08
Guest stars (par ordre d’entrée en scène) :
​
Albert Camus, Niki de Saint Phalle, Dante Alighieri, Baron de Münchhausen, William Hope Hodgson, Charles Perrault, Arthur C. Clarke, Jim Henson, Frank Oz, Pink Floyd, Stephen Spielberg, Tarot de Marseille, Sigmund Freud, Frères Grimm, Stéphane Mallarmé, Henri Pichette, Ben Vauthier, Armand Scholtès, Jaume Plensa, Jean Michel Othoniel, l’Être, Platon, Sankai Juku, Lewis Carroll, Yves Klein, Martin Heidegger, Saint John Perse, Ancien Testament, Robert Antelme, Sacha Sosno, Stephen King, Gabriel Audisio, Guy Debord, Claude Levi Strauss, Thomas Harris, Johann Wolfgang Von Goethe, Paul Troubetskoï, Letizia Buonaparte, Samuel Beckett, Papa et Maman Scholtès, Maurice Élie, Raphaël Monticelli, Christophe Colomb, Bartolomé de Las Casas.
Post-scriptum
Les toiles ont été réalisées dans un petit espace,
dans des circonstances de grâce et de sacralité,
de révélation ;
roulées, rangées, elles n’en scintillaient pas moins dans le souvenir,
l’esprit et la chair d’Armand,
il les frôlait au passage,
les caressait,
il n’en a parlé à personne,
son enthousiasme à me révéler cet espace-temps privilégié de leur création,
ce jeudi soir,
après la lecture de mon texte sur elles,
répond à l’insatisfaction que je ressentais par rapport à ce texte
- insuffisant, manquant sa cible, oubliant, ne connaissant pas un pan essentiel de leur être, création, vie –
à mon insatisfaction par rapport à ce texte.
Je sentais ce manque sans en identifier les raisons,
et voici qu’Armand au bord des larmes,
après avoir lu et relu mon texte,
dans la tombée du jour,
me fait part de leur histoire
- sacrale –
et de sa propre vie enfouie, déposée en elles,
me disant que notre rencontre, voilà maintenant 3 ans, ne relève pas du hasard, mais est un cadeau, un don, soulignant tout ce que nous avons faits ensemble, tout ce que j’ai fait sur lui pour lui.
Je comprends mieux ce soir mon impuissance à dire mon ressenti devant ces toiles,
mon effroi,
ma stupeur,
mon arrachement tendre au quotidien
et ma captation par le beau :
portes du cœur de l’Être,
portes du cœur d’Armand,
portes ouvertes sur autre chose,
au-delà
- le divin, aurait dit Rothko, évoquant pour ses propres œuvres des « voiles de méditation, icones, tableaux de contemplation, toiles de tente décorées qui dissimulent le divin ».
Armand dit sa joie, son bonheur, à les avoir vues présentées dans ce théâtre, cet espace, ces conditions.
Je reçois sa sensibilité, sa déchirure d’homme touché par la grâce du créateur (Sa Grâce à Lui, Hommarmand, veux-je dire)
et par le bonheur d’une amitié que je suis loin de mériter, même si le mystère de l’écriture que provoque sa création me laisse pantois, d’autant plus que j’aime ce que me fait écrire l’œuvre d’Armand,
et même si je souffre
me tend, espère,
pouvoir en dire écrire plus,
car quelque chose m’échappe toujours,
l’homme sous la création.
Beauté camusienne de ces toiles qui n’ont pas besoin de nous.
Assis sur l’embarcadère d’une des petites plages de Saint Jean cap Ferrat, je vois les 10 toiles géantes flotter, danser peut-être, au-dessus de la petite baie (mais cela pourrait être la Baie des Anges) avec ses deux avancées symétriques de pins, à droite et à gauche, ainsi que des bras ouverts, quatre marches d’escalier descendant dans la mer, un portique de 4 tubes de ferraille ripolinés en blancs, comme les goélands qui glissent, dans le ciel, un séminaire de 36 mouettes piaillantes, posées sur l’eau, imitant parfois le cri d’un jeune chat, le clapotis des vagues - dans le ciel gris, sur la mer grise.
Les toiles arrivent du fond de l’horizon, doucement, doucement, suspendues, elles se disposent à l’entrée de la petite baie.
Ce sont elles qui donnent de la couleur à cette toile vivante.
Peut-être pourraient-elles même faire percer les nuages par le soleil.
Mais non : toutes ces délicatesses du gris de ce matin gris sont parfaites.
Ces 10 soleils en font plus que le vrai.
Et Armand ouvre de grands yeux devant ce spectacle.
Il hoche la tête, bégaie des silences.
De grosses larmes coulent sur ses joues.
Enfin, il peut dire : « Que c’est beau, que c’est beau… ».
Sortie du Musée,
du théâtre,
de l’exposition, du spectacle,
les toiles se diluent sous le larmes d’Armand, entrainant le paysage à leur suite dans la mer,
puis c’est le ciel à son tour qui est aspiré par la mer
et, enfin, la mer même et il ne reste rien, rien que du bleu, du gris – infini.
Envolé, le ballon-monde.
​
Charlie Galibert